Que ce soit dans les sphères politique, professionnelle, ou même personnelle, on a tous besoin de se montrer convaincants au quotidien. Et encore plus lorsque l’on est freelance ET engagé pour l’environnement : lors d’un pitch de vente, pour présenter une proposition commerciale, expliquer l’impact de nos modes de vie sur le vivant, démontrer la nécessité de construire un numérique responsable… Pourtant, adapter son discours à son audience pour emporter l’adhésion, c’est tout un art. Et ça s’appelle la rhétorique. Mais alors, comment s’y prendre ? Et surtout, comment détecter chez les autres ces tactiques qui parfois frôlent la manipulation ?
C’est ce que nous a expliqué Charline Birault Souchez, consultante éditoriale dans le secteur public et intervenante à l’Université de Rennes 2, dans une masterclass retranscrite dans l’article ci-dessous.
Qu’est-ce que la rhétorique ?
Définition
La rhétorique, c’est l’art de persuader. Autrement dit, selon Clément Viktorovitch, politologue français, c’est “l’art de présenter notre pensée de la manière la plus pertinente possible, afin d’en faciliter l’acceptation par nos auditeurs et nos interlocuteurs”.
Persuader vs. convaincre
Selon la doctrine universitaire, convaincre c’est invoquer des éléments rationnels (preuves, faits, chiffres), tandis que la persuasion mobilise également les émotions.Pour des raisons à la fois pratiques et philosophiques,, ils seront employés de manière indifférenciée tout au long de cet article.
Éloquence et stylistique
L’éloquence est la capacité à s’exprimer, faire des silences, ou encore à moduler sa voix. La stylistique quant à elle correspond à l’étude des figures de style. Ces deux disciplines peuvent être mobilisées au service de la rhétorique, mais pas nécessairement. Certains acteurs ou conteurs sont extrêmement éloquents, sans chercher à convaincre pour autant.
Rhétorique vs. manipulation
La frontière entre persuasion et manipulation est mince. On bascule dans la manipulation lorsque l’on emploie des procédés rhétoriques à des fins immorales.
Pourquoi l’étude de la rhétorique est-elle importante ?
La fin de la Seconde Guerre mondiale a été marquée par l’essor des démocraties. De plus en plus de pays à travers le monde invitent régulièrement leurs ressortissants aux urnes afin d’élire leurs représentants.
Alors que les hommes et les femmes politiques usent et abusent des procédés rhétoriques, la plupart des citoyens ne savent pas les détecter. Certains spécialistes de la rhétorique politique, comme Emmanuelle Danblon ou Victor Ferry, alertent sur l’urgence à former les individus à ces techniques.
Les outils de la rhétorique
L’ethos
L’ethos est l’image que l’orateur renvoie de lui-même à travers son discours. Il assoit sa crédibilité par la mise en scène explicite ou implicite de qualités morales liées à son identité, ou de compétences liées à son parcours.
Par exemple : “ En tant que mère de famille, je sais très bien ce que vivent les enfants”.
Le logos
C’est l’argumentation logique et rationnelle du discours.
Par exemple : “Je n’ai pas d’enfant, mais j’ai lu beaucoup de livres sur le sujet”.
Le pathos
C’est l’émotion que l’orateur cherche à provoquer chez ses interlocuteurs, pour créer du lien.
Par exemple : “Je n’ai pas d’enfant, mais comme vous, j’ai toujours été profondément bouleversée par les rapports mère-enfant.”
Les arguments liés à l’ethos (et pourquoi s’en méfier)
La compétence
Ici, l’orateur souhaite prouver sa crédibilité en invoquant son parcours, sa formation, ses expériences, son métier… Ce type d’argument est extrêmement puissant, et souvent utilisé à des fins manipulatoires.
Par exemple, “je sais de quoi je parle, j’ai une licence de droit” suffit généralement à emporter l’adhésion, alors que les règles de droit évoluent sans cesse. Avant de se laisser convaincre, il faudrait creuser : “Quand avez-vous obtenu votre diplôme ? Avez-vous exercé depuis ?”.
À l’inverse, décrédibiliser quelqu’un sur la base de sa compétence est aussi terriblement efficace. C’est ce qu’avait fait Jean-Jacques Bourdin au micro de BFMTV, en questionnant Myriam El Khomri sur le nombre de renouvellements possibles de CDD. La ministre du Travail de l’époque avait admis ne pas connaître la réponse, ce qui l’avait grandement desservie pour tout le reste de son mandat.
La sincérité
L’orateur souhaite montrer que ses comportements sont cohérents avec ses propos pour emporter l’adhésion. Les politiques adorent décrédibiliser leur adversaire en dénonçant leurs incohérences, alors qu’en réalité, aucun être humain n’est parfaitement cohérent. Nous évoluons dans un monde complexe, et devons nous adapter à un environnement en perpétuel mouvement.
Le charme
Ici, l’objectif est de donner le sentiment de vouloir du bien à l’autre. Ce procédé joue également sur le pathos.
“Moi aussi je suis française, nos intérêts sont les mêmes”.
Les arguments liés au logos
Arguments de cadrage
L’orateur invoque des éléments objectifs : faits, statistiques, chiffres, règles de droit, etc. Vigilance sur ce point ! Il est facile de ne sélectionner que les éléments qui confortent un point de vue. Les débats et interviews télévisés sont dangereux, car ils ne laissent pas le temps de challenger les arguments de cadrage.
Arguments de communauté
C’est lorsque l’on fonde un argumentaire sur un système de croyances ou de valeurs : religion, tradition, nation, etc. Par exemple, dire “on a toujours fait comme ça, il n’y a aucune raison que ça change”pour défendre la corrida ou la chasse .
Ce type de discours est un peu moins efficace, car il suppose que l’interlocuteur s’identifie à la communauté en question (avoir grandi en Espagne, ou dans un milieu très rural).
Arguments d’autorité
L’orateur fonde la validité de son propos sur une personne ou une institution : un témoignage d’expert, un rapport, etc. Là aussi, il est aisé de ne mettre en exergue qu’une partie du discours d’origine.
Arguments par analogie
C’est lorsque l’on fait un parallèle avec une situation similaire, afin d’en tirer des conclusions. Dans ce cas, assurez-vous que l’orateur compare ce qui est vraiment comparable ! Par exemple, comparer une émeute à celle de mai 68, alors que les ordres de grandeur ne sont pas du tout les mêmes.
Les arguments liés au pathos
Montrer les émotions
La démonstration des émotions, lorsqu’elles sont cohérentes avec le discours, favorise l’adhésion. Certains acteurs sont capables de contrôler leurs émotions à des fins de manipulation.
Assigner les émotions
C’est le fait de projeter sur son interlocuteur une émotion qui n’est pas la bonne, pour l’amener à se questionner. Ce procédé est fréquemment utilisé par l’extrême droite, notamment Eric Zemmour, qui s’adresse aux Français en disant en substance : “Vous avez raison d’être en colère, vous avez raison d’être méfiant !”
Invoquer les émotions
Il existe deux manières de mobiliser les émotions de son interlocuteur. D’une part, en désignant un ennemi commun, pour créer du lien et de la sympathie (désolé pour le retard, vous connaissez la SNCF…). Et d’autre part, en décrivant une situation émouvante de manière percutante.
Sur ce dernier point, Clément Viktorovitch apporte des précisions. Selon lui, la situation choisie doit relater des événements à la fois :
- intenses (des milliers de morts par exemple) ;
- proches de notre quotidien (le Bataclan plutôt que le Coronavirus en Chine) ;
- précis et certains (demain, et pas dans un siècle) ;
- qui impliquent des responsables (le maire de la commune plutôt que l’humanité tout entière, comme pour le dérèglement climatique)
- mettent en jeu des personnes vulnérables (femmes, enfants, animaux…)
- et évoquent des souvenirs mémorables qui font société (la Seconde Guerre Mondiale par exemple).
Pour les raconter de manière percutante, il est possible de faire levier sur :
- Le choix des mots, afin de provoquer une émotion particulière. Par exemple, Donald Trump a renommé la “succession tax” en “death tax” pour plus de gravité.
- L’amplification (exclamation, répétition, hyperbole) pour donner de l’intensité.
- La métaphore, pour former une image collective puissante. Par exemple, “notre maison brûle et nous regardons ailleurs”.
Finalement, comment convaincre ?
En adaptant son discours à son interlocuteur
Il est essentiel de toujours se mettre à la place de son interlocuteur pour :
- sélectionner les arguments auxquels il sera le plus réceptif ;
- anticiper les objections.
En mobilisant à la fois l’ethos, le logos et le pathos
Les études et les statistiques sur le dérèglement climatique existent depuis plus de 60 ans. Selon Charline, si elles n’ont pas provoqué de vrai changement jusqu’ici, c’est parce que l’on n’insiste pas assez sur le pathos dans la manière de communiquer. Depuis que les événements sont plus proches et certains (cf. les vagues de chaleur en Europe et partout dans le monde), le discours écologiste devient plus percutant.
Exemple
Voici un argumentaire efficace pour prouver la légitimité de Charline pour donner un cours de rhétorique :
- Elle a travaillé 5 ans en politique et a fait du théâtre (ethos, parcours).
- Son module de cours a été validé par le professeur référent de l’université de Rennes 2 (logos, argument d’autorité).
- Plusieurs étudiants sont venus la voir à la fin du semestre en lui disant qu’ils avaient trouvé le cours absolument passionnant, et que c’était leur matière préférée (pathos, situation percutante décrite avec hyperbole).
Alors, ami·es freelances, prêt·es à appliquer ses conseils pour faire passer vos messages ?
Et si toi aussi, tu as envie de rejoindre une communauté de freelances engagé·es qui explore l’écosystème de l’impact positif en France, rejoins-nous ici !
L’article a été rédigé par une Eloïse Leroy, membre de la communauté Social Declik, Consultante SEO et rédactrice Web.
Sources :
- Rhétorique, Aristote, Le Livre de Poche, 1991
- Poétique, Aristote, Traduction J. Hardy, Gallimard, 1997
- L’art d’avoir toujours raison, Schopenhauer, Librio, 2021
- 12 leçons de rhétorique pour prendre le pouvoir, Victor Ferry, Eyrolles, 2020 (et sa chaîne You Tube)
- Convaincre sans manipuler, Philippe Breton.
- L’empire rhétorique, Chaïm Perelman
- Le pouvoir rhétorique, Clément Viktorovitch